LA MOTIVATION
 
L’EFFET PYGMALION (*)




 C’est une bien curieuse expérience que fit un professeur américain de psychologie R. ROSENTHAL : il convoqua un jour douze de ses élèves et distribua à chacun cinq souris grises en leur demandant de les dresser pendant quelques semaines à se débrouiller dans un labyrinthe. Ces souris avaient des capacités semblables mais il précisa à six des élèves que leurs souris avaient été sélectionnées pour leur remarquable sens de l’orientation. Aux autres il confia qu’il n’y avait rien à attendre de leurs animaux pour des raisons génétiques.
Les résultats furent saisissants : les souris survalorisées se révélaient étonnamment douées tandis que les souris sous-estimées restaient pratiquement à leur point de départ.
Séduit par ces résultats, il voulut étendre son expérience en mai 64 à une école élémentaire du sud de San Francisco. Il faut préciser que ce quartier est habité par des familles pauvres dont des étrangers, mexicains, portoricains. il s’agit donc d’enfants défavorisés par leur milieu, dont on n’attend traditionnellement pas grand- chose.
ROSENTHAL se présente avec son équipe comme venant enquêter à propos d’une vaste étude en cours à Harvard financée par la National Science Foundation sur " l’éclosion tardive des élèves ". Les professeurs flattés ouvrent grandes leurs portes à ces prestigieux enquêteurs. Ceux-ci ne leur demandent simplement que l’autorisation de faire passer un test aux élèves pour déceler ceux qui pourraient se révéler doués à l’avenir. Test tout ce qu’il y a de plus standard - une mesure du quotient intellectuel - et qui n’est d’ailleurs qu’un prétexte:
Les enquêteurs tirent au sort à raison de 20 % par classe les noms des élèves qui seront étiquetés "cas intéressant,promet beaucoup"  Les résultats sont communiqués fortuitement aux professeurs,
" Au cas où vous seriez intéressés..." Les professeurs furent ainsi influencés à leur insu et il ne restait plus à ROSENTHAL qu’à attendre. Quatre mois plus tard une série de tests fut effectuée, une autre à la fin de l’année scolaire ainsi qu’un an après.
Les résultats furent ahurissants : les élèves artificiellement survalorisés avaient réalisé d’étonnants progrès par rapport aux autres enfants. Tel ce petit mexicain dont le quotient intellectuel a sauté de 61 à 106 en un an. D’élève retardé aux yeux du professeur il est devenu élève doué. Même progression pour une autre petite mexicaine qui a vu son quotient intellectuel passer de 88 à 128. Et ce pour des dizaines d’autres enfants.
A propos de ces " cas intéressants ", les professeurs invités à donner leur appréciation insistaient sur leur gaieté. leur curiosité, leur originalité, leur adaptabilité.
Précisons que la progression des élèves n’est pas uniforme, elle est plus sensible la première année pour les plus jeunes des  "cas intéressants", la deuxième année pour les plus âgés. Pourquoi cette différence ? Les petits sont en fait plus fortement influencés par le professeur et l’année d’après lorsqu’ils changent de professeur pour un qui croit moins en leurs possibilités ils ralentissent leur progression. Par contre, les grands moins influençables, sont plus aptes à se maintenir d’eux-mêmes.


(*) Pygmalion, sculpteur grec de l'antiquité, créa la statue d'une femme tellement douce, tellement parfaite à ses yeux qu'il en tomba follement amoureux, jusqu'à oser imaginer qu'elle pouvait prendre vie. Devant une telle détermination, les dieux, par l'intervention d'Aphrodite, ne purent qu'exaucer son vœu et donnèrent à cette femme " de marbre " le sourire, la parole…le souffle.
La force de sa croyance avait permis à Pygmalion de dépasser les contraintes d'une réalité que l'on aurait pu penser figée à jamais et d'obtenir alors ce qu'il espérait ardemment.
La puissance de son attente venait de faire autorité.
On parle, depuis les années soixante, sous l'influence du psychologue américain R. Rosenthal " d'effet Pygmalion ".
Ce chercheur en sciences sociales et éducatives forme, à l'égard de la réussite scolaire, des hypothèses effrayantes ou rassurantes selon l'angle sous lequel on les examine.


 

MOTIVATION ET RELATION PEDAGOGIQUE

 
Dans les représentations mentales courantes, la motivation est souvent considérée comme un état sur lequel on ne peut guère avoir d’influence. On tend souvent à penser que les matières d’enseignement ou activités sont motivantes ou non par elles-mêmes et qu’il existe des individus dynamiques et intéressés et d’autres qui ne le sont pas. La confusion entre les notions de besoins et intérêts  se trouve, la plupart du temps, à l’origine de cette conception plutôt fataliste.
L’étude des besoins psychologiques de l’être humain apparaît donc indispensable pour comprendre l’étiologie de la motivation. Notre hypothèse consiste à dire qu’il existe une catégorie de besoins qui joue le rôle essentiel dans la création de cette force psychologique. celle qui relève de la conquête de l’estime d’une personne importante aux veux du sujet. A la source de toute motivation on trouve toujours, en effet, la relation à une personne privilégiée de l’entourage proche. C’est dire par là que la personne de l’enseignant, trop oubliée dans l’engouement didacticien actuel, joue un rôle déterminant par ses attitudes et comportements : le professeur peut tout aussi bien générer un intérêt puissant pour la discipline qu’il enseigne, qu’un rejet tenace à son égard. II convient donc d’analyser ce processus, de répertorier les attitudes favorables à la création, à l’entretien et au développement de la motivation et les comportements qui en découlent si on désire dynamiser psychologiquement les individus, les groupes et les apprentissages…
…Notre motivation personnelle dans la quotidienneté et la vie se trouvera ainsi fréquemment interpellée, nous invitant à un regard plus approfondi sur les forces profondes qui nous animent.
 
Extrait des « cahiers pédagogiques »/ Jacques André

 
LA MOTIVATION
(suite)
 
R.Rosenthal a prouvé que le fait de croire en un enfant peut lui faire réaliser des progrès extraordinaires, et même augmenter son QI, l’influence de l’éducation étant d’autant plus sensible que l’enfant est jeune.
J.André réagit contre le côté « fataliste » donné à la motivation –on est motivé ou on ne l’est pas, on a envie ou pas…- et insiste sur l’importance de l’affectif dans le rôle de l’enseignant, d’autant plus important chez le jeune enfant.
Antoine de La Garanderie, pédagogue spécialiste de la « gestion mentale » (cf « Les profils pédagogiques » puis « La motivation », chez  Bayard éditions) a une démarche intéressante : il cherche pourquoi des enfants réussissent et comment appliquer leur « méthode » à ceux qui sont en échec.
De même, quand un enfant ne paraît pas ou plus motivé, nous pouvons nous demander :
-«Comment et pourquoi  d’autres enfants de son âge sont motivés »
-« Que se passait – il quand il était motivé ? »
-« Que faire pour qu’il le redevienne ? »
Il faut penser que l’enfant, et souvent encore l’adolescent, vivent au « temps présent ». Ce qui paraissait formidable hier peut devenir aujourd’hui inintéressant, surtout dans une société de consommation où il faut « tout, tout de suite » pour le « jeter » après.
C’est à nous, les adultes :
 - de garder une ligne de conduite cohérente, en expliquant que cet apprentissage que nous avons choisi pour lui est « bon pour lui », que cela lui demande des efforts, mais qu’il va développer de nombreuses capacités qui lui seront indispensables dans sa vie (par exemple le développement précoce de la mémoire et de la concentration qu’on a sûrement déjà repéré à l’école…) ; on a décidé pour lui, certes, comme on prend en charge toute son éducation, car c’est le rôle du parent.
 - d’insister sur la chance qu’il a d’accéder à un monde merveilleux, celui de la musique et de l’Art, qui va créer une complicité avec vous d’abord, puis avec des amis de son âge – d’où l’importance de l’environnement et des activités en groupes- ;
  - de rappeler les expériences et situations positives vécues par le passé, dans lesquelles il était manifestement très motivé (réussite dans l’apprentissage d’un nouveau morceau, concert, diplôme, stage, spectacle…) ;
  - de donner en projet de nouvelles situations qui vont lui plaire, à plus ou moins longue échéance suivant l’âge, en insistant toujours sur les réussites quotidiennes.
Il est important pour cela de prendre soi – même du recul, d’analyser ses propres motivations par rapport à l’apprentissage de la musique, en tant qu’éducateur, et de discerner « la fin » et « les moyens », deux conditions indispensables à doser pour une réelle motivation :
 - Si on privilégie trop « la fin » - le morceau à savoir dans son intégralité, le concert où l’on va jouer, la carrière internationale envisagée…-, la pression risque d’être trop forte, l’échéance trop lointaine, et l’enfant découragé à l’avance…
 - Si on privilégie trop « les moyens » - le travail quotidien où on surmonte chaque difficulté comme un « défi », le développement des capacités mentales et sensorielles au jour le jour…-, l’enfant risque de se demander pourquoi il faut travailler tous les jours sans autre but que…le travail !
L’idéal est de « jongler » entre les deux, en s’adaptant à l’enfant :
 - Pour ceux qui préfèrent rejouer toujours les anciens morceaux et rechignent à en commencer un nouveau, il faut donner de très petites échéances (apprendre un seul passage nouveau pour la semaine prochaine…) et rappeler les succès passés.
 - Pour ceux qui aiment affronter la difficulté et la nouveauté, et rechignent à réviser un répertoire, il faut insister sur l’intérêt de dominer techniquement un morceau pour prendre plaisir à « jouer avec le morceau », seul ou à plusieurs, en changeant le son, l’expression, en insistant sur la beauté de l’œuvre et l’intérêt d’avoir des morceaux toujours prêts en cas de «concert improvisé »
La réalisation d’un spectacle est une bonne illustration d’une motivation réussie et unanime, car la musique devient un moyen parmi d’autres (mise en scène, expression orale, mime, chorégraphie…) dans le but final de créer une œuvre d’art complète!
 
Il est important de s’adapter au rythme de l’enfant, en donnant à chacun les moyens de réussir, en refusant les termes de « doué » ou « pas doué » tellement employés en musique ! Imaginez qu’on « condamne »  un bébé qui apprend tardivement – par rapport à la moyenne- à marcher ou à parler, en décidant pour lui qu’il n’est pas « doué », et que donc il n’y arrivera jamais, alors que ce n’est qu’une question de temps dans la plupart des cas !
Pour conclure ces quelques pistes de réflexion sur la motivation, une phrase d’Antoine de La Garanderie:
 
« Le secret de la motivation n’est – il pas de s’aviser ou d’accepter de reconnaître qu’on peut apporter à l’avenir sa note personnelle ? Le pouvoir d’être soi s’accomplit par l’évocation de la pierre que chacun devrait avoir l’exigence d’apporter à l’humanité et qui sera son propre témoignage. »

Brigitte Pras – Janvier 2006


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Tous les enfants sont doués


Leur réussite dépend en grande partie de la considération et de la confiance de leurs éducateurs


L'influence éducative


Plus l'enfant est jeune, plus elle est importante


Expliquer et assumer son choix éducatif


Une position rassurante pour l'enfant qui se sent "pris en main"